Elle est si riche, si triste abandonnée. La destruction
est sa destinée
Dans nos villes espaces contrôlés ou minéraux
sont les maîtres mots
Entre pelleteuse et tarière creuse
urbaniser caractérise les ambitions de la ville
de demain
Ils viennent nous envahir
Nous les mauvaises herbes
Ils poussent comme des champignons vénéneux
et nous empoisonnent
Ils sortent de terre et nos feuilles en frissonnent
Ils se reproduisent à une vitesse folle
Ils sont trop. Beaucoup trop
Pire que des plantes sauvages
Ils nous massacrent ils sont plus forts ils sont
trop forts
Mais on est toujours là on est contre on les
contre On se battra !!!
Et oui, on se battra encore et encore
N’abandonnons pas ensemble on sera plus forts
Jadis la terre était nôtre et nous en étions les
maçons
mais leurs racines de fer et de béton viennent
déloger nos corps frêles
Leur cime et leur tronc rectangulaires écrasent
nos frères
cachent notre soleil
polluent notre air
Pourtant sans feuilles ni branchages ils nourrissent
notre rage
Notre rage de grandir, de se battre et de vivre
Ces arbres là sont grotesques mais nous
survivrons
contrairement aux hommes sans faire le moindre
geste
Ils sont doux, dociles, dressés
C’est ca le pire
Ils essaient de nous faire croire qu’ils nous
respectent, qu’ils replantent en réponse à nos
ripostes
Mais c’est faux
Ils nous frappent à terre
marchent sur nos cadavres
crachent sur nos tombes
là où ils ramènent nos frères, à qui ils
réserveront le même sort en temps voulu
Et nous
on en a marre on veut pas la guerre nous on
veut
la justice
Sauvage. Sauvages
Un bout
De terre
Trois plantes
Elles forcent, elles sortent
Sous le ciment
Sous le béton
Elles cherchent
Il y a toujours une voie
Cherche
Creuse
Plante
Insoumises
Elles survivent
Persistent
Existent
Persévèrent… Quoi ?
Oui vers quoi ?
Le ciel ?
Non
La terre
Reprendre ce qui est à elle
La nature trouve toujours son chemin
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C’est ici. Le soleil fait chauffer le béton et les voitures, éblouit les façades des bâtiments
et dessèche les derniers brins d’herbe encore debout. La scie et le marteau piqueur du chantier voisin font un bruit assourdissant.
Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? Depuis l’avenue de Laroque, ce terrain ressemble plus à un massacre qu’autre chose.
L’eau, sale et emplie d’algues, sépare ces tas d’herbes abandonnées des nouveaux immeubles, là où elles étaient chez elles autrefois. Depuis le coeur de la friche, le cours de Québec s’enfonce au loin dans une grande masse, et les travaux derrière le bassin agrandissent la zone résidentielle de Ginko. Ainsi nous savons que la végétation qui souffre à nos pieds va disparaître, quoi qu’elle y fasse.
Derrière les travaux, une lueur d’espoir. Herbes aromatiques, arbustes, fruits et légumes poussent dans un jardin commun caché derrière les barrières de sécurité. Le jardin va malheureusement pousser dans la pollution et la poussière, mais son message nous a interpellés. Que se passerait-il si la nature se rebellait ? Si par une aide quelconque elle avait assez de force pour nous détruire, qu’adviendrait-il ?
Mais ce n’est pas la nature qui domine actuellement.
Pourquoi la traiter ainsi ?
Il faut continuer. Le long du cours de Québec, les résidences apparaissent une par une, avec des formes, des couleurs et des matières différentes, une grande diversité architecturale se tisse au cours de notre marche.
Entre deux d’entre elles, se dresse un jardin d’enfants, des jeunes jouent près des balançoires, à côté des jeux et de très beaux arbres. Cet endroit et son aménagement sont très plaisants, et la nature semble se plaire ici et être bien entretenue, pourquoi celle-ci et non la friche à seulement quelques minutes à pied ?
Dans un parc voisin, une structure de bois et de métal se dissimule sous la végétation abondante, et sur une herbe d’une agréable couleur. Notre ressenti par rapport à la nature est complètement différent depuis le début de notre parcours.
Plus tard, une balade près du lac début devant nous. À droite, des beaux bassins où nagent des canards longent le chemin de pavés gris, tandis que derrière s’élèvent les résidences, avec de beaux pontons pour accéder à des grands jardins. À gauche, la boulangerie attire les résidents, et à côté d’elle se forment les locaux de Ginko, encore en pleine installation. Depuis les bancs des jardins, un enfant joue avec son bateau électrique dans le bassin, et un chat dans les hautes herbes regarde les canards en cherchant à éviter les passants.
Le contexte est super, et ce qui nous entoure est très agréable à voir. L’idée des bassins près du cours de Québec revient alors, peut être que la friche et le terrain vont finir dans le même état, peut-être que la destruction de ses plantes va permettre une meilleure vie plus tard.
Une chose est sûre, avec l’aide de l’homme, cette nature a réussi à bien se développer dans ce milieu, alors que la présence minérale est bien plus importante. Il faut aider cette nature à s’affirmer et à survivre, elle est presque omniprésente, et pourtant si fragile. Notre sujet nous paraît alors évident, le moindre petit effort, la
moindre petite plante qui pousse à travers le goudron ou dans un jardin aménagé, réunie avec les autres, peut avoir un impact colossal.
Il faut alors trouver le moyen de permettre à la nature d’avoir la place et le pouvoir qu’elle mérite ! Enfin, derrière les travaux des nouvelles résidences, erre un caddie abandonné, tout ne fait que commencer…

L’espace d’étude est très vaste, il s’étend à perte de vue. Je sens les herbes sous mes pieds, elles me portent. Ma masse n’est plus soumise à la gravité. Je me sens leste comme le duvet d’un anatidae.
Je suis léger que je finis par m’effondrer, je fonds au fond de cette terre qui semble vibrer.
Le vent stimule les terminaisons sensorielles de mon visage, un parfum d’une grande pureté flotte dans l’air,
j’hume lentement. Son intensité est telle qu’elle ravive mon odorat. Je me roule sous les poacées. En tendant
l’oreille, je perçois. Je les entends murmurer, ces graminées s’accrochent à mes doigts comme pour me saluer.
Je pose alors doucement mon oreille sur le sol et écoute les trésors cachés sur cet humus. Les racines s’étirent les unes après les autres, tandis que lumbricinas, bactéries, formicidaes, champignons ou autres larves de diptères se développent au coeur d’elles. Plus le son du sol remonte vers la surface, plus une puissante essence se transfert en moi. Cette nature n’est pas comme les autres, non.
Je passe doucement ma main dans les angiospermes et écoute attentivement ce son capter par les pavillons de mes oreilles. Je croirais entendre des petites voix. Elles s’agitent tandis que les brins vibrent à quelques centimètres de moi. Je relève la tête et sens l’odeur de l’herbe passer dans mon passage nasal.
J’ouvre alors les yeux et observe un spectacle époustouflant. D’incroyables créatures, que je ne n’avais jamais vu auparavant, se tiennent devant moi. De la taille d’un doigt, et comme peau du tissu végétal, elles possèdent pour certaines des attributs humains, comme la bipède. En guise de capillarité, elles possèdent des feuilles de plantes comme prolongement de leur tige corporelle et sont armées d’outils humains à leur taille. Elles sont fascinantes, je dois complètement devenir fou, ces êtres ne peuvent pas être réels et n’ont pu en aucun cas se développer sans que l’humain ne les ait découverts. Je me lève doucement, mes iris fixés sur ces hallucinations. Un goût d’alerte apparaît au fond de ma muqueuse buccale, tandis que mes glandes sudoripares s’activent. Allez vous-en. ALLEZ VOUS EN !
Je me sens trop faible, je, je ne tiens plus...
Quand mes pupilles se soulèvent, je sens une sensation d’humidité et de froid dans tout mon corps, que m’est-il
arrivé ? Tout cela n’était que mon esprit scientifique qui s’était emballé, je suis rassuré.
Soudain, je sens quelque chose dans l’épiderme de ma main, je l’approche et regarde. Un râteau, de la taille d’une phalange, et une feuille minuscule de chiendent me firent frissonner.
Nous sommes à Bordeaux, un jeudi dans la nuit, dans le quartier des Bassins à flots. Un quartier en mutation
permanente. La cité du vin occupe le paysage par son architecture singulière et futuriste, volant la vedette
au pont Chaban-Delmas, dont les lumières éclairent le passage des usagers tardifs. D’un côté, un quartier qui se
gentrifie, Bacalan, avec ses nouvelles habitations et de l’autre, un endroit intouchable qui a gardé son authenticité et est devenu le repère nocturne de la jeunesse bordelaise. Un amas minéral, un vieux port, de la pierre, du métal, du béton. Il est tard, très tard, ou très tôt, ça dépend et pourtant il y a du monde.
Des jeunes sortent par dizaine, par petits groupes, ils rejoignent le tramway, même ivres, ils connaissent le chemin par coeur. Mais quelque chose les interpelle ce soir sur le parcours. Trois chariots de supermarché, contenant des plantes, avaient été placés là, avec un mot sur lequel on lisait « POUSSEZ MOI ».
Il ne fallut pas plus de cinq secondes avant que trois groupes de jeunes s’emparent des chariots et, tels de
grands enfants, les transportent vers de nouveaux horizons. Un groupe de jeunes d’une petite vingtaine d’années, visiblement éméchés, emmena l’un des chariots dans le tramway. Le deuxième charriot fut pris d’assaut par un couple à pied, ces derniers semblaient avoir trouvé un moyen de locomotion pour la demoiselle.
Le troisième resta finalement sur les rails, après avoir appâté quelques curieux qui finirent par se lasser. Tous
se questionnaient probablement sur la nature de cet objet insolite, de cette jardinière ambulante, et de son contenu qui étaient là où on ne les attendait pas, et dont le voyage ne faisait que commencer.
Nous sommes à Bordeaux, samedi matin, place du Parlement. Connue pour ses restaurants au pied des façades
bordelaises et dont les terrasses encadrent parfaitement la fontaine, son autre symbole. Reliée à la très emblématique rue Sainte-Catherine, par une ruelle parallèle, mais également à la mythique place de la Bourse, on y croisait tous les types de population, du couple de trentenaire au retraité, en passant par les jeunes touristes. Il était encore tôt lorsqu’un charriot rempli de plantes à fleurs et d’aromates fût aperçu sur la place. Personne n’aurait su dire d’où il venait et qui l’avait laissé là, même les restaurateurs qui étaient parfois très matinaux. Il semblait avoir juste surgi de nulle part. Au fil des heures, la place se remplissait de passants qui allaient et venaient, intrigués par ce qu’ils pensaient pour la plupart être une énième installation d’art contemporain.
Certains, plus inquiets, se demandaient ce que cachait ce caddie d’origine inconnue qui pourrait finalement peut être, être l’oeuvre de terroristes. Certains jeunes reconnaissaient ceux qu’ils avaient vus dans la ville la nuit ou sur les réseaux sociaux, et s’empressaient de prendre à leur tour des photos, lorsqu’un restaurateur décida d’observer de plus près. Menthe, coriandre, basilic, et autres plantes odorantes ou comestibles remplissaient à ras-bord le panier qui fut vite soumis à l’inspection olfactive et gustative de l’expert, sous les regards concernés et déconcertés de l’assistance. Fier de sa découverte, le restaurateur ramena le charriot à la terrasse de son restaurant, offrant un charmant bouquet garni à ses clients qui finirent, eux aussi, par adhérer au concept du « charriot garni », jardin dans lequel chacun pouvait sélectionner ses aromates fraîches.

Nous sommes à Bordeaux, un dimanche après-midi, sur les quais. L’endroit favori des riverains pour se retrouver en famille ou entre amis. Sur les pelouses, dans les parcs et jardins, les quais se veulent escales de détente, et de promenade. On pouvait également observer sur l’étendue une végétation présente, abondante, flamboyante même. Mais leur végétation contrôlée, immobile, polie, lissée, sans un seul brin d’herbe qui dépasse. Des beautés silencieuses, limitées. C’était un espace pour réveiller la nature. Des charriots se trouvaient le long de la promenade des quais. Une fois de plus, ils semblaient sortis de nulle part, personne ne savait comment ils avaient atterri ici, où personne ne voulait. Parmi les hautes herbes, derrière les arbres, se sont cachés quelques petits charriots, discrets, des tailles pour enfants. Les enfants, toujours curieux de tout,
se rapprochaient des petits charriots sans crainte, sous l’oeil méfiant et protecteur des parents.
Une nouvelle attraction était née. Les grands charriots, difficilement mobiles dans l’herbe comme sur les pistes cyclables, restaient immobiles dans le gazon mais suscitaient l’intérêt des riverains. Dans les charriots des enfants se trouvaient des billes de graines, avec lesquelles ils jouaient et qu’ils disséminaient sans égard dans les jardins bien rangés, inconscients de l’effet qu’ils pouvaient avoir sur la nature. Bientôt la place fut envahie de fleurs, de plantes colorées avec leur lot d’invités, désirés : papillons, abeilles, et des colonies de fourmis.
En quelques mois, ils sont devenus incontournables. Qu’ils soient pris pour des oeuvres d’art itinérantes ou
des actions activistes écologiques, les charriots ont gagné l’approbation de la communauté qui, étonnamment respectueuse du dispositif mis en place, participe finalement à son intégration dans le paysage bordelais. Le charriot voyage dans toute la ville et devient un phénomène sur les réseaux sociaux. Certains viennent les arroser, d’autres, convaincus d’un engagement artistique des auteurs de ces « ready made vert » ou de cet Arte Povera d’un nouveau genre, les déplaçaient pour les faire cohabiter avec les symboles emblématiques de la ville de Bordeaux, sur toutes ses places mythiques …
Le dispositif suscita des débats sur la place de l’art et la nature en ville, mais tous semblaient finalement des
attractions ponctuelles et mouvantes, finalement abandonnées, mais avec des plantes toujours croissantes et vigoureuses, comme entretenues par les mêmes forces invisibles qui les avaient fait apparaître. Elles grandissaient oui, sous les yeux de tous, avec l’action de quelques-uns, et ce qui autrefois se limitait à un charriot finit par croître hors, les rails du tramway en étaient recouverts, empêchant sa circulation.
Les herbes avaient envahi les sillons des pavés de la place de la Bourse et le lierre grimpait sur les façades, les arbres aseptisés Les bombes et billes à graines avaient germé, et la ville n’était plus qu’un vaste jardin en mouvement, incontrôlable, qui s’étendait encore et encore, engloutissant le minéral pour ne finalement laisser
la place qu’à l’homme et au vert.
Mission sensibilisation !
La rencontre
Hymne Gaïen
Révélation d'une végétation fragile
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